" Trouvez-vous une femme ici et tout s'arrangera... " L'intervention religieuse auprès d'étrangers placés en rétention en Allemagne

National audienceCette contribution propose d'interroger le rôle des acteurs religieux dans la perpétuation, mais aussi dans le déplacement voire la remise en cause des identités genrées dans un centre de rétention pour étrangers en instance d'éloignement du territoire en Allemagne. Ce centre se distingue des dispositifs d'enfermement similaires existant dans d'autres pays d'Europe par le rôle particulier qui y est conféré aux acteurs religieux, prêtres et pasteurs notamment. Dans un lieu fermé et dont la gestion et la surveillance sont assurées par l'institution policière, les représentants de l'Eglise sont ici les seuls acteurs non policiers autorisés à franchir les murs du centre, et plus encore les portes des cellules. Officiellement consacrée à l'accompagnement spirituel des retenu(e)s à des fins " d'apaisement des tensions " inhérentes à la condition enfermée, l'intervention des acteurs religieux couvre de facto un champ d'activités bien plus large incluant notamment soutien psychologique et assistance juridique. A partir d'observations ethnographiques conduites pendant huit mois en tant qu'aumônière stagiaire auprès de deux pasteurs (homme et femme) intervenant en rétention, cette contribution visera à mettre en lumière la manière dont le fait religieux, observé dans sa fabrication et ses ajustements quotidiens en rétention, travaille les processus de catégorisation genrée des retenu(e)s - tout autant qu'il est travaillé par les ceux-ci. Nous concentrerons l'analyse sur deux moments particuliers de l'intervention religieuse en rétention qui nous semblent éclairer la manière dont, dans l'interaction entre acteurs religieux et retenu(e)s, des normes de genre sont produites et/ou actualisées, mais aussi contestées, contournées ou négociées. Le premier moment observé est celui de l'échange noué entre acteurs religieux et retenu(e)s dans l'espace des cellules, échange généralement centré sur l'examen des droits du retenu et visant à évaluer les possibilités de contestation juridique de l'enfermement et/ou de l'expulsion : il s'agira ici de montrer comment la socialisation religieuse des acteurs s'articule à d'autres ensembles normatifs (juridiques, mais aussi comportementales par exemple) pour faire de l'assignation de rôles de genre un des vecteurs d'ordonnancement des " publics " rencontrés (les retenu(e)s) et de la légitimité de leurs requêtes. L'engagement marital et/ou filial apparaissent ici comme les lieux privilégiés de mise à l'épreuve de la conformité du/de la retenu(e) à l'identité de genre qui lui est assignée, dans l'interaction, par les acteurs religieux. Nous verrons alors comment les retenu(e)s intègrent ou au contraire contestent cette assignation - voire l'intègrent pour mieux la contourner. La conduite de notre enquête auprès d'un pasteur (intervenant auprès des hommes retenus) puis d'une pasteure (intervenant auprès des femmes retenues) permettra également d'interroger l'incidence de l'appartenance de genre des acteurs observés sur les pratiques d'assistance qu'ils déploient et le rôle qu'y jouent les normes de genre. La célébration des offices religieux hebdomadaires au sein du centre fermé offre également un terrain d'enquête propice à l'observation de la fabrique du genre en rétention, mais aussi des réappropriations dont les rituels religieux font l'objet. Nous montrerons d'abord, en restituant la préparation et la tenue des offices religieux, comment le choix des thèmes de l'office et des textes bibliques contribue à actualiser/réaffirmer certaines représentations stéréotypées de la condition d'homme ou de femme étranger(e) retenu(e) - et par exemple, pour les femmes, celle de " victime " d'exploitation sexuelle. Nous reviendrons cependant également sur la place particulière de la " salle de prières ", où est célébré l'office, dans le lieu d'enfermement ethnographié : elle y est en effet le seul lieu permettant la rencontre de retenu(e)s de sexe opposé et constitue en ce sens un espace véritablement à part dans le dispositif sexué de contrôle des corps mis en œuvre. Cette constellation particulière, qui assure notamment un fort taux de fréquentation aux offices célébrés (en dépit des orientations religieuses souvent divergentes des retenu(e)s), permet certes d'asseoir le fait religieux dans l'enceinte de la rétention, mais est également à l'origine de formes collectives de déplacement des normes de genre et de réappropriation des rituels, qui deviennent ici des moments privilégiés de rapprochement entre hommes et femmes retenu(e)s. Cette contribution entend ainsi complexifier l'analyse de l'action œcuménique à vocation " humanitaire " en montrant que s'y trouvent imbriquées des logiques diverses, résultant tant de la socialisation religieuse des acteurs que de leurs ressources juridiques ou de leurs représentations (per se stéréotypiques) des normes de genre. Celles-ci exercent notamment une influence décisive sur les formes d'assistance déployées, suggérant par conséquent que l'appréhension de l'action associative religieuse à destination des étrangers en situation irrégulière au prisme du genre invite à repenser les rapports entre construction sociale du genre et construction politique de la nation